Les entretiens de l’IM : Eric Chenut

Eric Chenut Elu en octobre 2021 président de la Mutualité Française, Eric Chenut est attaché d’administration de l’Etat. Administrateur du groupe MGEN depuis 2003, il en est Vice-président délégué de 2017 à 2021 en charge des politiques de santé, de prévention, de recherche puis des évolutions du modèle économique. Administrateur du groupe VYV depuis 2017, […]

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Eric Chenut

Elu en octobre 2021 président de la Mutualité Française, Eric Chenut est attaché d’administration de l’Etat. Administrateur du groupe MGEN depuis 2003, il en est Vice-président délégué de 2017 à 2021 en charge des politiques de santé, de prévention, de recherche puis des évolutions du modèle économique. Administrateur du groupe VYV depuis 2017, il est président de la Fondation d’entreprise pour la santé publique (MGEN) et membre du Conseil de surveillance de la Fondation de l’Avenir.

 

Les entretiens de l'IM

Les entretiens de l'IM (Institut Montparnasse) ont pour but de donner la parole à un acteur du monde mutualiste, ou plus largement de l'ESS afin d'avoir un panorama de notre actualité. Aujourd'hui c'est Eric Chénut, ancien vice-président de la MGEN, et président de la FNMF qui a la parole pour cet entretien.

Bonjour Éric Chenut vous venez d’être élu à la présidence d’une institution qui fédère la quasi-totalité des mutuelles en France (518 mutuelles). Vous en étiez jusque-là vice-
président, vous étiez également administrateur délégué du groupe MGEN, administrateur également du groupe Vyv. 

Je rappelle que vous êtes engagé dans le mouvement mutualiste depuis 20 ans que vous avez créé la mutuelle étudiante LMDE, et que vous avez
en 2003, rejoint le groupe MGEN. Pour compléter votre présentation, j’ajoute que vous avez été président de la section Meurthe-et-Moselle pendant 8 ans puis que vous êtes devenu délégué national aux établissements de 2011 à 2013, vice-président aux questions
de santé sanitaire et social de 2013 à 2017 et vice-président délégué en charge du budget, des finances, des risques et des partenariats de 2017 à 2021. 

C’est donc un long parcours dans le monde de la Mutualité qui vous conduit vers ce mandat de président. Mandat qui a commencé depuis début octobre et qui s’ouvre après 2 années de pandémie. J’imagine que ce que nous venons de vivre va orienter votre où vos actions pour les 5 prochaines
années ?

Eric Chenut à été Vice-président délégué de la MGEN de 2017 à 2021

Eric Chenut est aujourd’hui président de la FNMF

La période que nous vivons va évidemment avoir un impact, a déjà un impact.

On voit aujourd’hui la réalité de l’hôpital et du système de santé. De nombreux soignants sont épuisés par cette crise sanitaire et s’interrogent quant à poursuivre leur carrière, certains ont d’ores et déjà décidé soit d’arrêter et de se réorienter professionnellement, soit de se mettre un peu en retrait, au moins conjoncturellement.

Tous ces éléments sont extrêmement préoccupants et appellent de notre part, à nous mutualistes, mais aux citoyens et assurés sociaux, de voir quel système de santé et de protection sociale nous voulons. Comment l’organiser et répartir l’effort. Des questions politiques au bon sens du terme puisqu’elles participent du socle de cohésion sociale.

Est-ce que vous souhaitez que nous parlions de la question de la taxe que le gouvernement envisage d’appliquer aux mutuelles ?

En 2020, compte tenu que l’assurance maladie s’était substituée aux mutuelles sur un certain nombre de dépenses et compte tenu du niveau de déficit record de l’assurance maladie obligatoire, le gouvernement a décidé d’appliquer au complémentaire santé une contribution exceptionnelle via une taxe d’1.5 milliard.
Une taxe dont nous nous sommes 
acquittés mais qui semblait pourtant anticipée au regard d’un effet rebond à prévoir, et qui s’est produit car nos concitoyens n’ayant pu se faire soigner en 2020 l’ont fait en 2021.

Qui plus est un certain nombre de nos concitoyens ont vu leur état de santé s’aggraver durant cette période, amenant des dépenses supplémentaires. Tout cela a donc abouti à plus d’1 milliard de dépenses supplémentaires sur les 2 années pour toutes les complémentaires santé. Pour les seules mutuelles c’est 280 millions euros de plus sur la période. Cet effet report est renforcé également par des dépenses supplémentaires qui sont liées à l’application du 100% santé – notamment en dentaire et en audiologie – qui supprime le reste à charge. Cependant, ces dernières dépenses doivent être vues comme résultant d’une avancée sociale permettant à tous un accès au soin dont certains étaient privés auparavant.

Dans votre discours prononcé lors de votre investiture, vous évoquez la nécessité
d’apporter des solutions concrètes résolument modernes aux défis de notre société afin d’améliorer le bien-être « physique, psychique, social et environnemental. » Pouvez-vous illustrer ce propos ?

Prenons l’exemple du numérique en santé qui pour moi est un formidable levier potentiel de réduction des inégalités. Il y a 2 façons d’appréhender l’utilisation des datas : soit une façon très libérale de s’appuyer sur ces techniques pour plus segmenter le marché de la santé et individualiser les risques, ce qui, pour moi, est un leurre en termes de vision sociétale mais aussi assurancielle.

Ou on peut choisir d’utiliser les datas comme moyen pour faire gagner en efficience la dépense de santé, car le niveau de soin est inadéquat, c’est à dire des soins redondants ou qui ne sont pas faits au bon moment, représente 20-25% de la dépense de santé. En utilisant bien les datas, on va pouvoir mieux personnaliser les programmes de
prévention, de gestion du risque et l’accompagnement des personnes.

C’est pour cela que la FNMF a proposé aux mutuelles qui le souhaitaient de mettre en commun leurs données de manière anonymisée pour initier des programmes de recherche en santé. Aujourd’hui de nombreuses mutuelles ont décidé de s’engager dans ce projet – ce sont un peu plus de 40% des populations protégées par les mutuelles qui vont pouvoir bénéficier de ces dispositifs – et c’est, je crois, une manière utile d’utiliser des technologies pour amener de la modernité au sein de la réponse mutualiste.

Ce système très vertueux que vous êtes en train de décrire il lui faut combien de temps
pour pouvoir être vraiment opérationnel et pour commencer à mesurer les effets positifs pour les uns et les autres ?

Je pense que les concrétisations vont arriver dans les 2 années qui viennent puisque les projets sont en cours, soit via le « Mutuelles Data » dont je viens de parler, soit via « Mutuelles Impact », un fonds d’innovation pour investir dans un certain nombre de start-up travaillant dans notre champ et ainsi les accompagner dans leur développement. 

Il s’agit de faire émerger de nouvelles pratiques en termes sanitaire, social ou médico-social.
Nous avons premières concrétisations sur le champ environnemental mais également social. L’idée c’est d’amener brique après brique les éléments des protections sociales durables pour les populations que nous protégeons.

Vous évoquez dans votre discours « l’envie d’être et de faire ensemble », vous évoquez notamment l’économie sociale et  solidaire (ESS) et la question des territoires…

Pour moi l’économie sociale et solidaire c’est l’ancrage de la Mutualité. Nous sommes avant tout des sociétés de personnes portées par des femmes et des hommes élus et salariés. J’ai l’habitude de dire que faire Mutualité c’est à la fois s’assurer contre un risque dont on ne peut assumer seul les conséquences mais c’est aussi faire ensemble ce que l’on ne pourrait réussir seul. Et donc par l’action mutualiste il faut aussi qu’on retrouve ces espaces d’engagement mutuel, qu’on donne la capacité à des femmes et des hommes qui veulent agir de pouvoir agir, ne pas subir les transformations radicales auxquelles notre société est confrontée, de pouvoir faire œuvre utile pour eux et pour les autres de donner du sens
finalement à l’action collective. 

C’est aussi ça la Mutualité : des espaces d’innovation sociale et pour moi c’est au plus proche des besoins à l’échelle de tous les territoires qu’ils soient économiques, géographiques, ou socio-professionnels… 
Et c’est pour ça que le prochain Congrès de la Mutualité en septembre 2022 va traiter de la question de l’entraide en mutualité entre les générations et entre les territoires.
Pourquoi entre les générations ? parce que nous sommes évidemment présents auprès des plus âgés, des plus fragiles, des malades mais il faut aussi que nous soyons au côté des plus jeunes qui ont été extrêmement fragilisés pendant cette crise sanitaire et que nous leur montrions en quoi et pourquoi la mutualité est un mode d’engagement qui est porteur de sens, dans lequel beaucoup peuvent se reconnaître et que c’est aussi un lieu où ils vont pouvoir trouver une insertion professionnelle, puisque la Mutualité c’est plus de 75000 emplois.

L’image d’une Mutualité qui entreprend, qui soutient y compris quand on va bien, est-elle répandue dans l’esprit de nos concitoyens ?

Non ce n’est pas dans leur imaginaire et le projet que je porte c’est justement celui d’une « Mutualité compagnon de vie ». Tout le sens de mon engagement depuis plus de 30 ans c’est la question de l’émancipation : par l’éducation, par la culture, par la citoyenneté, par les solidarités et la santé. C’est cela aussi la Mutualité depuis 70 ans, faire en sorte que des femmes et des hommes trouvent, par notre intermédiaire, la capacité de reprendre pied dans leur vie et de conserver leur libre-arbitre. Or nous faisons face à une triple transition écologique, démographique et numérique. La transition écologique : l’impact de l’environnement sur notre santé mais aussi l’impact des transitions écologiques dans nos modes de production et de consommation qui sont à la base du modèle de financement. Or si ces modes sont impactés dans les années qui viennent qu’adviendra-t-il des leviers de financement de la protection sociale solidaire telle qu’on la connaît ? La transition démographique : on vit 4 générations, 4 générations et demie en même temps aujourd’hui, peut-être bientôt 5. On le voit d’ores et déjà, le vieillissement de la population aboutit à une augmentation importante des affections de longue durée. Or notre système de santé est encore trop curatif et pas assez orienté sur le « care ». La transition numérique enfin : on en a parlé, l’impact des datas est considérable sur notre organisation dans le champ des protections sociales mais aussi dans le champ de la vie quotidienne. Et il faut bien évidemment accompagner les citoyens et les citoyennes via une forme d’éducation populaire et citoyenne au numérique pour qu’ils puissent faire des choix en toute connaissance de cause et aiguiser leur libre-arbitre.

Concernant la thématique – ouverte de longue date et portée par l’Institut Montparnasse en 2021-2022 – de la démocratie renouvelée, comment peut-on renouveler la démocratie dans les organisations ? comment remobiliser ? comment redynamiser ?

Je crois qu’il faut que la Mutualité, mais les structures de l’économie sociale et solidaire plus largement, s’adaptent à l’aspiration sociale. On l’a vu pendant la crise sanitaire, comme à chaque grande crise, il y a eu ce qu’on a appelé les « makers » c’est à dire des gens qui spontanément ont décidé de mettre en commun leurs savoirs, leurs expertises pour répondre aux besoins les plus urgents.

Cela montre que contrairement aux idées qui circulent les gens ne sont pas plus individualistes qu’avant.
C’est simplement qu’ils ne traduisent plus leur engagement de la même façon, ils n’ont pas forcément envie de s’engager, d’adhérer, au sens littéral du terme, à une organisation durablement. Ils ont peut-être plus envie qu’avant de s’engager sur un projet, sur une action.

Il nous faut prendre en compte cette évolution de l’engagement qui devient plus séquentiel et qui demande de nouveaux modes d’organisation de la militance. Je pense que c’est aussi une manière de réinterroger cette démocratie participative. 
Et puis peut être un autre élément qui me semble extrêmement important, c’est comment recréer des espaces pour la délibération commune. 
On parlait tout à l’heure des transitions écologiques, démographiques, numériques qui impactent notre société. 

 Mais il y a plusieurs enjeux et évolutions scientifiques, médicales, qui sont très rapides aujourd’hui. La Mutualité a décidé de mettre en place un espace fédéral d’éthique pour instruire ces sujets autour du numérique en santé, de la fin de vie, de la santé environnementale, des familles et des parentalités, des questions de solidarité, de responsabilité des fraudes. 

Nous avons organisé cette réflexion sur le plan national mais j’ai souhaité le décliner à l’échelle régionale, ce qui a prouvé sa nécessité pendant la crise. Les espaces mis en place par les unions régionales ont permis de recréer la possibilité de partage, essentielle à l’heure où la cohésion sociale est très malmenée et où certains voudraient apporter aux différentes fractures sociales le repli identitaire et sécuritaire. Au contraire c’est de plus de sécurité sociale dont nous avons besoin mais c’est aussi plus de débats, plus de démocratie.
La Mutualité est un des derniers espaces où des femmes et des hommes venus d’horizons différents ayant des aspirations, des engagements personnels, politiques, syndicaux, philosophiques qui leur sont propres, travaillent, agissent et réfléchissent ensemble. Mesurons combien cela est précieux et singulier et combien nous devons le faire vivre, le développer et c’est ce à quoi je nous invite au niveau de la Mutualité française.

Que pensez-vous de cette jeunesse qui s’inquiète pour son avenir, et on peut imaginer très facilement pourquoi. Est-ce que vous pouvez compter sur les jeunes ? Est-ce que vous avez le sentiment que la Mutualité peut aussi embarquer cette génération ?

En tout cas c’est mon intention de pouvoir faire des choses pour eux, avec eux et par eux. Si nous ne leur tendons pas la main, si nous ne créons pas des espaces d’engagement mutuel, ils ne pourront pas prendre leur part ni assurer et assumer les relais indispensables aux solidarités. Aujourd’hui, compte tenu de la précarité qui s’est accentuée, il y a un certain nombre de mutuelles, d’unions de la Mutualité française qui organisent des choses comme des épiceries solidaires, qui s’engagent sur la question du logement des jeunes parce que c’est un déterminant de santé, parce qu’on sait que ça peut être facteur d’émancipation dans la construction de l’autonomie de la jeunesse. Et puis il y a aussi plusieurs initiatives qui sont prises pour accompagner les initiatives des jeunes, là aussi très spontanées, de solidarité, et les organiser dans la durée. C’est essentiel.

Venons si vous voulez bien maintenant à ce tout récent rapport qui est le fruit d‘une collaboration entre l’Institut Montparnasse, Benoît Hamon et d’Ève Durquety. Rapport qui s’intitule « Quel rôle pour la mutualité pour nos sociétés au XXe siècle ». Ce rapport s’articule autour de 4 priorités, est ce qu’il y en a une qui vous tient particulièrement à cœur et sur laquelle vous souhaitez réagir ?

L’ensemble est intéressant et important parce que c’est l’ensemble qui fait sens dans les spécificités de l’économie sociale et solidaire. J‘ai l’habitude de dire que l’ESS se caractérise à la fois par son mode d’entreprendre participatif, sa gouvernance démocratique, sa lucrativité limitée et son volontarisme.

Nous portons une ambition émancipatrice auprès de la société, nous contribuons au bien commun et à l’intérêt général. Il nous faut le montrer. Par la prévention, par les réseaux conventionnés, nous permettons aux gens d’avoir un accès effectif aux soins, de réduire les restes à charge, de gérer leur capital santé le plus longtemps et le mieux possible. C’est aussi ça l’économie sociale et solidaire, c’est comment permettre
aux gens d’être acteurs, de prendre pied dans leur vie pleinement et de décider.

Comment voyez-vous les choses sur les enjeux de la Mutualité à l’échelle européenne et internationale ?

Dans le mandat qui s’engage, je souhaite que nous nous concentrions sur l’Europe qui est notre « espace utile » de demain. Nous devons donc renforcer nos collaborations avec les mutualités européennes via par exemple le « groupe prudentiel d’assurance mutuelle européenne » qui se développe. Saisir aussi l’occasion des travaux de Nicolas Schmidt à l’échelle de la Commission et celle de la présidence française sur une définition de ce qu’est ESS et de sa contribution au développement économique dans le cadre du marché intérieur de l’Union.

A l’échelle plus internationale, il faut aussi que nous, mutualistes, contribuions à un certain nombre de sujets autour du travail, des mobilités et des grands déterminants de santé qui sont appréhendés dans les institutions comme l’OIT, l’ONU ou l’Unesco.

Peut-être une conclusion ?

La Mutualité organise « Place de la santé » à l’occasion les futures échéances électorales. C’est un espace qui a vocation à éclairer le débat, objectiver un certain nombre de sujets et d’enjeux via des dispositifs comme une rubrique « info désintox » ou le décryptage des programmes des candidats et des candidates. La Mutualité va aussi développer ses propres propositions à l’occasion des élections présidentielles et législatives. C’est le sens de la conférence citoyenne sur la question de l’entraide et des solidarités que nous avons organisée en automne 2021. L’enjeu est à la fois d’interroger les futurs candidats et candidates à l’élection présidentielle sur ces questions mais aussi nous interpeller, nous mutualistes. Il faut que nous acceptions de nous réinterroger aussi sur notre sens, notre utilité, notre efficacité pour qu’on puisse, comme on l’a fait tout au long de notre histoire, continuer de nous adapter car être fidèle à nos valeurs, à notre passé, ce n’est pas être notarié du passé, refaire exactement la même chose. Et ce sera bien évidemment un des éléments qui va nourrir nos travaux jusqu’au congrès de la Mutualité française en septembre 2022 à Marseille.

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