Institut Montparnasse : L’éducation populaire, un marqueur des organisations de l’ESS et de leur projet politique

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L'éducation populaire, un marqueur des organisations de l'ESS et de leur projet politique

Discours d'ouverture de conférence du vendredi 29 mars 2024

Bonjour à toutes et tous. Merci de votre présence et merci aux intervenants d’avoir
répondu à l’Institut Montparnasse pour le partage d’expériences de ce matin.
Merci au groupe VYV de son accueil et à Chloé et Florian de leur disponibilité pour
organiser ces journées sur l’éducation populaire. Merci à Olivier Boned, administrateur de l’Institut, de sa présence active.

C’est avec un regard multiple que j’interviens :

  • En tant que membre de l’Institut Montparnasse comme représentant du
    CIRIEC France qui effectue des recherches sur économie publique et
    économie sociale pour répondre à l’intérêt général
  • En tant que membre de la Ligue de l’enseignement, fédération d’éducation
    populaire, depuis 1973
  • En tant qu’acteur engagé dans l’ESS au titre des CRESS (ex président du
    CNCRES et du CEGES) et du Mouvement associatif

Mon interrogation sur la relation entre éducation populaire et économie sociale et
solidaire se situe essentiellement autour de 3 points principaux :

  • L’éducation populaire et ce qu’on en a fait , son évolution et sa prise en compte dans notre société
  • L’éducation populaire et l’ESS
  • Le projet politique de l’ESS

1. Interrogation sur l’éducation populaire et ce qu’on en a fait , son évolution et sa prise en compte dans notre société

C’est au XVIIIème siècle, à l’époque des Lumières que l’on fait communément
remonter l’origine de l’idée d’une « éducation populaire ». Il s’agissait de défendre un concept nouveau, dans une période où l’église avait une emprise importante : la nécessité d’une éducation de toutes et tous, et, en l’occurrence, du peuple, par le peuple, pour le peuple.

En 1792, en pleine révolution, Condorcet remet à l’Assemblée législative un Rapport sur l’instruction publique dans lequel on peut lire : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain des opinions de commandes seraient d’utiles vérités. Le genre humain n’en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient.
Celle des maîtres et celle des esclaves ».

En mettant en place un cadre de réflexion collective sans positionnement
hiérarchique d’un détenteur ou d’une détentrice du savoir, l’Éducation populaire a pour objectif de permettre l’émancipation, l’accès aux savoirs, à la culture et de faciliter l’exercice de la citoyenneté. Les valeurs fondamentales qu’elle défend et qui fondent son action sont l’émancipation, la coopération, la solidarité, la justice.

Au fil du temps, on a inscrit l’éducation populaire dans des institutions (ce que
certains appellent « la dérive vers le socio-culturel ») 
: Pierre Tournemire, dans
son ouvrage sur la ligue de l’enseignement nous indique que le 25 octobre 1866, sous le second empire, le journal « l’Opinion nationale » publie un article dans lequel Jean Macé appelle au rassemblement de tous ceux qui désirent contribuer à l’enseignement du peuple. 

Il exhorte à la formation des citoyens. Ayant constaté que le peuple peut élire un dictateur, il considère que, pour garantir la démocratie, « l’éducation au suffrage universel » est indispensable. Pour cela, il veut créer en France une ligue de l’enseignement semblable à celle fondée deux ans plus tôt en Belgique. A l’automne 1871, quelques semaines après la répression sanglante de la Commune, Jean Macé et Emmanuel Vauchez, secrétaire général du Cercle parisien de la Ligue de l’enseignement, lancent, avec l’appui de la presse libérale, une pétition pour « une instruction gratuite, obligatoire et laïque » (Pierre Tournemire «La Ligue de l’enseignement » – Editions Milan Les Essentiels).

La question aujourd’hui est celle du poids de ces institutions dans la pratique au
quotidien de l’éducation populaire
 : l’éducation populaire est-elle au cœur de
toutes les actions des citoyens et devons-nous continuer à nous acculturer
mutuellement dans une éducation partagée, ou est-elle de la compétence
d’institution détentrice d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un savoir-être pour aider à la
construction des citoyens. Sans aucun doute les deux.

Mais comment prendre en compte l’éducation populaire dans ces institutions quand, dans la société actuelle, elles deviennent des prestataires des pouvoirs publics et inversent leur vocation d’aider à construire un regard, des paroles et des actions collectifs pour être des porteurs de projets élaborés ailleurs qu’auprès des citoyens « pour faire le bonheur de ces citoyens ». La question fondamentale est donc celle de la perversion de ce qu’est l’éducation populaire.

2. L’éducation populaire et l’ESS :

L’ESS est fille de l’éducation populaire au sens de l’émancipation du citoyen et de
sa capacité à construire des réponses à des besoins. Historiquement, on constate
que nombre des initiatives pour l’organisation des structures de l’ESS sont nées
après les travaux de la période des Lumières et en découlent fortement.

La philosophie centrale de l’ESS, comme son organisation ou les statuts de ses
structures (y compris dans l’inscription dans la loi de 2014) sont bien des enfants des
valeurs défendues par l’éducation populaire.

C’est parce que le citoyen développe une capacité d’analyse politique, qu’il est en mesure de se regrouper avec d’autres, de concevoir une nouvelle façon de faire de l’économie, de s’organiser dans des modèles non lucratifs mettant au centre les humains, … que les structures peuvent exister. On retrouve bien là les valeurs fondamentales évoquées au début de mon intervention et qui fondent son action : l’émancipation, la coopération, la solidarité, la justice.

3. Le projet politique de l’ESS :

Il est fondamentalement un projet de respect des autres, de recherche d’un partage
d’objectifs communs, de mieux être de l’ensemble par la participation de tous.

La première question qui se pose est celle de la place d’une telle philosophie
politique et économique dans un contexte libéral
dans lequel prédomine une
volonté prédatrice et qui ne prend pas suffisamment en compte les individus.

La deuxième (et qui me semble être plutôt positive) est pourquoi tant d’institutions
représentatives de l’ESS s’interrogent et se réclament de l’éducation populaire
,
alors que, voici quelques années au CNCRESS, en proposant que nous travaillions
sur l’éducation populaire comme racine de l’ESS je passais pour un iconoclaste.
Heureux d’y contribuer aujourd’hui !

Mais cet intérêt plus fort actuel pour l’Éducation Populaire n’est-elle pas à mettre en
lien avec le climat de l’époque qui dérive vers un autoritarisme, une conception
sociétale dans laquelle l’être humain est plus objet que sujet, et où le risque d’une
perte de la démocratie est assez prégnant ?

Il s’agit de retrouver les racines d’une véritable approche humaniste dans laquelle
l’ESS a toute sa place. Mais ce ne peut être vrai que si les institutions
représentatives et les grands groupes se refusent à entrer dans le moule de
l’économie libérale et acceptent de faire de l’ESS un projet politique de changement
de la société.

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