A la demande de la présidence hollandaise la section marché intérieur du Comité Economique et Social Européen se penche actuellement sur un avis exploratoire sur le thème de « L’innovation comme moteur de nouveaux modèles économiques ». Les réflexions intéressantes et pertinentes ont fait l’objet d’échanges dynamiques, après deux réunions le pré-rapport va être transmis pour avis à la section et par la suite à la plénière. Un avis attendu pour tous ceux qui attendent un changement dans l’approche du modèle économique dominant.
L’Europe est confrontée à des défis sociétaux complexes, auxquels les systèmes existants ne parviennent pas à répondre. Cette situation témoigne d’un changement de modèle qui exige une évolution des attitudes et des solutions novatrices. De telles innovations sont souvent qualifiées de sociales ou sociétales. «Une innovation est dite sociale quand elle l’est tant dans ses objectifs que dans ses moyens À cela on peut ajouter que les innovations sociales se définissent plus spécifiquement comme des idées nouvelles (produits, services et modèles) qui répondent aux besoins sociaux (de manière plus efficace que les autres approches) tout en créant de nouveaux liens sociaux ou collaborations. En d’autres termes, les innovations sont non seulement utiles à la société, mais elles renforcent également ses capacités d’action»[1]. Des innovations sociales apparaissent dans tous les secteurs, leur caractéristique commune étant qu’elles aboutissent, en définitive, à un changement systémique.
L’innovation sociale ne prend pas la même forme que l’innovation technique. Elle est motivée par les besoins et tend souvent à répondre à un problème dans la société ou à mettre l’accent sur un groupe spécifique d’utilisateurs, tout en tenant compte des dimensions sociales, environnementales et économiques. Les innovations sociales les plus fructueuses vont de pair avec une réflexion globale qui, plutôt que de traiter isolément un problème ou un sujet, aboutit, en dernier ressort, à un changement systémique.
L’innovation sociale a pour fondement un point de vue éthique, idéologique ou axé sur l’intérêt général. En témoignent le rôle joué par la société civile aujourd’hui et celui qu’elle a assumé, historiquement, dans la formation des systèmes de protection sociale. Si elle est nouvelle en tant que concept, l’innovation sociale existe en fait depuis très longtemps.
L’innovation sociale repose sur une communication ouverte et sur une approche collaborative de la résolution des problèmes, mobilisant des pratiques et des parties prenantes d’horizons divers pour faire émerger des solutions nouvelles. Elle décloisonne les secteurs et les marchés, en remplaçant la logique de concurrence par des formules de partenariat collaboratives qui s’inscrivent dans un temps long. Elle a pour finalité le partage, est liée au mouvement en faveur du libre accès aux sources (open source) et applique des approches non concurrentielles.
L’innovation sociale dessine un nouvel horizon essentiel pour l’Europe et encouragera la véritable «économie sociale de marché» visée à l’article 2 du traité de Lisbonne. Il est en effet crucial que les États membres et les institutions européennes encouragent et reconnaissent pleinement les modèles économiques «plus équitables», dont l’axe central consiste à mettre l’innovation au service d’un progrès social, cela concerne l’économie circulaire, l’économie du partage et l’économie de fonctionnalité et l’économie sociale dans toutes ses composantes.
Prendre l’exemple des entreprises de l’économie sociale pour démontrer l’existence d’un «nouveau» modèle économique, illustrant les concepts examinés ci-dessus, devrait contribuer à mettre en lumière les conditions qui sont nécessaires afin de soutenir pleinement les modèles économiques nouveaux et hybrides qui apparaissent en Europe.
Historiquement, les initiatives de la société civile ont entraîné plusieurs mutations systémiques de grande ampleur, touchant des secteurs tels que la garde des enfants, l’hôpital, la promotion de l’autonomie personnelle et l’indépendance au quotidien des plus âgés et des personnes handicapées, l’équilibre entre vie professionnelle et privée, l’insertion professionnelle et le logement, dont le logement social, mais aussi de nombreuses inventions et découvertes scientifiques. Souvent, ces évolutions se manifestent dans les entreprises de l’économie sociale, qui jouent un rôle catalyseur pour l’innovation sociale et dont l’objectif consiste généralement à produire un impact social.
Les entreprises de l’économie sociale ont apporté la preuve de leur capacité de rebond face aux crises. Elles possèdent un ancrage local, sont flexibles et s’avèrent souvent très novatrices. Répondant spécifiquement à un besoin réel au sein de la société ou destinées à combler une de ses failles, elles se livrent à des expériences et trouvent des solutions novatrices pour répondre à des défis sociétaux, tout en menant une activité économique. Elles ont pour trait distinctif que les gains qu’elles réalisent grâce à leurs activités sont pour elles un moyen de procurer des avantages supplémentaires à la société ou à leurs membres et ne constituent pas en soi leur objet principal. Les entreprises de l’économie sociale sont particulièrement intéressantes en ce qu’elles se caractérisent par une double création de valeur: sociale, grâce à leurs activités (insertion ou cohésion sociale), et économique (au travers d’échanges, de la création d’activités et de l’offre d’emplois).
La stimulation de l’innovation et de la créativité dépend de chaque acteur concerné, ainsi que des comportements et attitudes adoptés. C’est pourquoi il est essentiel non seulement de renforcer le secteur des entreprises de l’économie sociale, mais aussi de veiller à ce que prévale un esprit d’ouverture. Il convient d’entretenir une culture de la coopération et du bénéfice réciproque, principe qui s’est toujours trouvé au cœur de l’économie sociale. Attendu que les entreprises de l’économie sociale ouvrent de nouveaux marchés potentiels grâce à l’innovation, il y a lieu d’accorder une attention toute particulière à la protection de ces entités, afin qu’elles continuent de se développer.
S’agissant des entreprises de l’économie sociale, le CESE plaide activement en faveur d’un écosystème complet qui soit spécifiquement adapté aux caractéristiques uniques de ce modèle économique particulier[2]. L’écosystème idéal pour ces entreprises, comme pour bon nombre de ces nouveaux schémas, intègre des éléments tels qu’un environnement financier personnalisé qui offre des solutions faisant appel à des capitaux hybrides, une transposition de la directive relative aux marchés publics qui intègre les entreprises sociales dans les procédures de passation de marchés, une aide au développement des entreprises sur mesure, ainsi qu’une mise en œuvre de la mesure de l’impact social, qui se place du point de vue de la mission sociétale remplie par les entreprises de l’économie sociale.
Coheur Alain
Membre du Comité Economique et Social Européen
Directeur des affaires européennes à la mutualité Solidaris – Belgique
Vice-Président Social Economy Europe
[1] Source: http://ec.europa.eu/archives/bepa/pdf/publications_pdf/social_innovation.pdf.
[2] http://www.eesc.europa.eu/?i=portal.fr.social-entrepreneurship-make-it-happen