Que d’oppositions à la loi santé débattue par le Parlement ! Les contraires se multiplient, mais ne s’annulent pas. Débitants de tabac, marchands de sodas, défenseurs de la liberté individuelle … de ruiner sa santé. Et, au premier rang les médecins libéraux. Ceci est une constante historique française. La première loi d’assurance maladie fut retardée une dizaine d’années par la corporation de la médecine libérale ralliée derrière l’étendard de la liberté d’honoraires, d’installation, de prescription … sans intermédiaire dans son « colloque singulier » avec le patient. Constance pourrait-on penser, ou aveuglement ? Car tout a changé depuis l’élaboration de cette Charte de la médecine libérale en 1927 : la Sécurité sociale est un payeur collectif solvabilisant les patients, rémunérant les professionnels, finançant des équipements ; le diagnostic et la prise en charge ne sont plus le fait d’un praticien isolé ; la dominante pathologique est celle de maladies chroniques dont l’accompagnement dans le temps requiert une coordination médicale et médico sociale ; les générations actuelles de médecins privilégient la pratique collective, la concentration urbaine, mais aussi le salariat. Tout change (y compris le rapport du patient au praticien), mais rien ne change dans l’opposition à tout changement : on pourrait presque prononcer ce jugement caricatural.
La santé ne fait pas la loi. L’intérêt général commande pourtant une efficacité redoublée dans la lutte contre les causes de mortalité prématurée : tabac, alcool, excès de sucre ; mais chaque mesure est décriée au nom de l’intérêt commercial ou au nom de la liberté individuelle de se nuire. L’intérêt collectif commande pourtant une organisation du système de santé, une réelle coordination des acteurs et des structures hospitalières et ambulatoires, mais que de freins et de réticences ! La médecine préventive et la prise en charge pluridisciplinaire commandent le développement des rémunérations forfaitaires collectives et individuelles, mais la revendication se cristallise sur la rémunération à l’acte. L’accès aux soins universel commande une densité médicale équilibrée sur tous les territoires et la fin du renoncement à se soigner pour raison financière, mais la résorption des déserts médicaux et la généralisation du tiers payant sont des casus belli pour les syndicats de médecins. La santé n’est toujours pas la loi générale devant laquelle s’effaceraient intérêts catégoriels et réticences individuelles.
Jean-Michel Laxalt
Président de l’Institut Montparnasse