Les centres de santé communautaire : inspiration pour les mutuelles de santé ?

Par Laëtitia Lethielleux (Université de Reims, Champagne-Ardenne- CRIEG INTRARE, Chaire ESS) et Alexandrine Lapoutte (Université Lumière Lyon 2, COACTIS)

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Les centres de santé communautaire : inspiration pour les mutuelles de santé ?

Cet article s’inscrit dans le cadre du Séminaire : histoire des Scop et Scic organisée en partenariat avec l’Institut Montparnasse, sous la coordination de Timothée Duverger, Maître de conférences associé, responsable du Master 2 ESS et de la Chaire Territoires de l’ESS à sciences po Bordeaux et membre du conseil scientifique de l’Institut Montparnasse.

1. Les Centres de santé communautaire : une approche globale et participative qui répond aux inégalités sociales de santé

Les centres de santé communautaire (CSC) sont des organismes sans but lucratif, qui proposent un accompagnement global des personnes (médico-social) en favorisant la mixité sociale, avec une vigilance toute particulière envers les personnes vulnérables. Les CSC s’inscrivent dans une approche globale de la santé et favorisent la participation citoyenne. Cette vision participative de la santé figure dans la constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : « une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance capitale pour l’amélioration de la santé des populations »

Les CSC se caractérisent par une approche multidisciplinaire et participative grâce à une collaboration des professionnels de santé. L’accent est mis sur la prévention et la promotion du bien-être. Ils favorisent l’autonomisation des personnes et les encouragent à être acteur de leur santé en intégrant les déterminants de la santé dans leur ensemble (cf. figure 1) : « Les centres de santé communautaire partent du principe que les différences d’état de santé entre les personnes résultent beaucoup plus de facteurs sociaux, que de choix ou caractéristiques individuels » (extrait du point 1.1. de la charte du réseau CDSC).  (1 )

Figure 1  : Modèle des déterminants de la santé de Dahlgren & Whitehead (1991) (2)

Parmi leurs objectifs, il s’agit de pouvoir réduire les inégalités en matière de santé et de promouvoir un meilleur accès aux services de santé. Ils s’inscrivent pleinement dans l’approche défendue par la Charte d’Ottawa (adoptée en 1986- « Pour la promotion de la santé ») pour porter une approche globale axée sur l’éducation et l’empowerment des patients autant que sur une réorientation des services de santé vers plus d’intersectorialité. L’importance de la « capacitation » est reprise par le ministère de la santé et de la prévention en 2011 (p. 4-fiche 5- rapport d’étude) : « La santé communautaire vise la « capacitation » des gens, leur empowerment ; il s’agit de les mettre en capacité de s’impliquer et non de leur demander directement de participer, comme pourrait le faire un chef de projet dans une opération « classique ». (3)

2. Enjeux d’un modèle socio-économique innovant

Le rapport de 2011 du ministère de la santé et de la prévention dresse une liste des objectifs, difficultés et atouts des CSC résumée dans le tableau 1 ci-dessous :

Tableau 1  : Synthèse des objectifs, difficultés et atouts des CSC

Les CSC font face à des enjeux à la fois économiques (assurer la viabilité de leur modèle), politiques (obtenir une reconnaissance institutionnelle pour pérenniser leurs activités et ne pas rester suspendus aux évaluations de l’expérimentation) et sociaux (développer l’empowerment des populations pour améliorer l’accès aux soins et la qualité de vie s’inscrivant dans le mouvement de l’éducation populaire appliquée à la santé).
Pour répondre à ces défis, les CSC se sont organisés en fédérations (ex : la Fédération nationale des centres de santé incluant les CSC), en réseau (ex : le réseau des centres de santé communautaire) pour faire connaître et reconnaître leurs modèles et actions auprès des populations.

Une étude exploratoire menée en 2023 auprès de 5 CSC en France par une partie de l’équipe du consortium international de chercheur-e-s (4) a permis de mettre en avant plusieurs caractéristiques de leur modèle (cf. tableau 2).

Tableau 2  : Synthèse des principaux résultats de l’étude exploratoire Consortium de recherche sur les CSC

Il existe encore peu d’études et recherches en sciences de gestion sur les CSC et notamment sur la valorisation de ces centres en tant qu’innovation sociale sur les territoires. La mesure des effets des CSC s’avère une étape essentielle pour dépasser le stade de l’expérimentation et permettre une forme contingente d’essaimage des CSC à plus grande échelle. Les premiers résultats de l’étude exploratoire montrent le rôle joué par l’ESS dans les modalités et approches de fonctionnement des CSC. Dès lors, on pourrait explorer les distinctions entre les différents types de centres de santé (municipaux, mutualistes et communautaires).

On remarque que si le statut associatif est le plus souvent adopté par les CSC, ces derniers se sont intéressés au statut coopératif de la SCIC, qui répond bien à leurs missions, leur ancrage territorial et partenarial. Quelques rares centres ont fait le choix de la coopérative en France. La forme associative reste privilégiée pour des raisons fiscales, mais l’esprit se rapproche de la Scic. A l’international, on retrouve l’équivalent des CSC sous ces différentes formes juridiques, par exemple en Belgique les Maisons médicales au statut associatif ou au Québec les coopératives de santé.

3. Mutualisme et santé communautaire

Organisations mutualistes et centres de santé communautaire font partie de l’économie sociale et solidaire, dont ils partagent les principes d’utilité sociale, gouvernance participative et non lucrativité, énoncés dans la loi de 2014. Au-delà, ils sont aussi liés par une réalité historique : tout en fondant des centres de santé mutualistes, les mutuelles de santé ont soutenu la création des centres communautaires, par exemple en les co-fondant et participant au conseil d’administration. Plus récemment elles ont appuyé la démarche d’engagement des centres de santé dans l’expérimentation Secpa.

A une échelle plus fine, il demeure des lignes de tension entre les deux. Les mutuelles appartiennent à l’économie sociale institutionalisée tandis que les CSC sont inscrits dans le mouvement plus récent de l’économie solidaire. Les CSC portent généralement un discours plus critique là où les mutuelles sont devenues complémentaires à l’intervention de l’Etat. Elles portent aussi des approches différentes du système de santé, par exemple certains centres de santé communautaire défendent un projet de « grande sécu » qui prendrait en charge à 100% les dépenses de santé à la place des mutuelles… Ces structures témoignent donc de la pluralité des organisations de l’ESS.

Comment les centres de santé communautaire peuvent-ils inspirer le mutualisme ? Nul doute que leur attention portée à la proximité, la prise en compte des enjeux sociaux et inégalités de santé, la démocratie, l’ancrage territorial, peuvent accompagner les mutuelles dans leurs efforts pour renouveler la dimension émancipatrice de leur projet et intégrer davantage les enjeux sociaux et écologiques. Quels partenariats sont possibles aujourd’hui pour répondre aux enjeux de ces deux types d’organisation tout en garantissant leurs spécificités ? A un niveau plus macro, l’enjeu est fort, car un tel travail contribuerait à positionner plus clairement l’ESS comme une norme dans le système de la santé.

Notes de bas de page

  1. (1) https://reseau-cdsc.fr/notre-charte/
  2. (2) Dahlgren, G., & Whitehead, M. (1991). Policies and strategies to promote social.
  3. (3) https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/Etude_Planete_publique_05_Sante_communautaire.pdf
  4. (4) Membres du Consortium international de recherche sur les CSC : Laëtitia Lethielleux (Univ. de Reims, Champagne-Ardenne), Alexandrine Lapoutte (Univ. Lumière Lyon 2), Amelie Artis (Univ. Grenoble Alpes, Sc. Po), Caroline André et Maryline Thenot (Neoma BS), Céline Mahieu et Jacques Moriau (Univ. Libre de Bruxelles), Éric Comte (Univ. de Genève), Jean-Pierre Girard (École des sciences de la gestion et membre associé à l’Institut santé et société à l’Université du Québec à Montréal) et Jean Nikiema (École de santé publique de l’Université de Montréal).
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